Nicole Voilhes - Auteur de biographies romancées de couples célèbres du XVI siècle.
Des mouches sur Cartouche

Le Livre

Nous sommes en 1719. Marie de Beaudry coule des jours heureux en son hôtel particulier du Marais où l’affection de sa petite-fille et de son fils adoptif lui offre la perspective d’une vieillesse agréable.
C’est sans compter avec l’actualité de l’époque. Le jeune roi Louis XV a neuf ans, la régence est assurée par le duc d’Orléans plus soucieux de ses plaisirs que des intérêts du pays.
Si les temps sont difficiles pour le peuple, des fortunes s’édifient et se défont car il est devenu de bon ton d’agioter, le système Law connaît ses heures de gloire et la criminalité empire à Paris. Un nom est sur toutes les lèvres : Cartouche.
Le nouveau Lieutenant général de police a fort à faire pour arrêter le brigand, c’est pourquoi il demande à Marie de persuader son fils, Philippe, de devenir une « mouche » et, à elle, de faire profiter le jeune homme de son expérience.
Pas le moins du monde enchantée par la proposition, Marie doit s’incliner devant l’obstination de Philippe qui ne rêve que de s’illustrer. Pire, Angélique, sa petite-fille, offre également ses services à la police.
De multiples aventures attendent les mouches sur la scène des opérations et la mouche demeurée en coulisse car, fatalement, Marie va aussi payer de sa personne.
Louis Dominique Cartouche était un personnage à double visage : angélique et démoniaque, il n’est pas surprenant qu’il ait déchaîné les passions et inspiré beaucoup de romanciers ou de biographes.
« Des Mouches sur Cartouche » est un roman historique. Roman, car il relate une enquête menée par des personnages de fiction, historique car tous les éléments relatifs à la vie du brigand sont authentiques au contraire de nombre de parutions fantaisistes.

Extraits

1. - Sans prendre l’avis du chef de la police, j’ai décidé d’aller m’installer au cabaret du Veau qui tète...
La surprise de Marie la conduit à intervenir :
- Philippe, vous imaginez bien que la pègre ne vient pas narguer la police si près du Châtelet...
- Erreur, Madame ! Je me suis dit que les brigands s’étaient comportés tout à l’inverse en partant du principe qu’on les chercherait plutôt dans les quartiers excentrés, que le Lieutenant général de police n’aurait pas l’idée de regarder si près de chez lui... Et je suis en mesure de vous annoncer que j’ai vu juste: demain j’ai rendez-vous avec le chef d’une bande et...mais le malandrin qui m’a fait cette proposition ignore que je sais qui se cache sous le nom de celui que je vais rencontrer... Demain, je verrai l’Enfant. Dubitative, Marie murmure :
- Êtes-vous sûr qu’une rencontre avec un enfant vous mènera à Cartouche ?
- Oui, Madame, pour la bonne raison que l’Enfant et Cartouche ne font qu’un. De plus, au Veau qui tète, le patron et les habitués ont appelé mon interlocuteur « le Lorrain ». C’est justement le surnom d’un des lieutenants de notre homme...

2. À la Grande Pinte, dans le quartier des Porcherons, les hommes soupaient d’une oie goûteuse à souhait en buvant force chopines de vin de Bourgogne, le préféré de Cartouche. Voilà que sur le coup de dix heures est arrivé un pauvre hère porteur d’un sac qu’il a vidé sur la table devant Cartouche en déclarant :
- Fais ton prix, on m’a dit que c’était toi qui payais le mieux...
Des montres, une tabatière et un collier de perles n’ont guère leur place parmi les reliefs de viande, les miettes de pain et les taches de vin. Deux cartouchiens, Limousin et Flamand, ont tendu la main vers la belle marchandise quand le Lorrain a rugi :
- Bas les pognes, vous autres, vous êtes là pour becqueter, pas pour faire du commerce. Imperturbable, Cartouche a continué à nettoyer un os de volaille, puis, en prenant son temps, il a déclaré au nouveau venu :
- L’ami, tu te trompes d’adresse, je ne suis pas preneur. Passe ton chemin sans lanterner.
Contrarié, l’inconnu a insulté les dîneurs et comme il semblait vouloir s’incruster, Cartouche, toujours très calme, a dit à Balagny et au Lorrain : - Foutez-moi cet affureur dehors.
L’homme a sorti un couteau de sa poche et a fait mine de le planter dans le ventre de Balagny ; rapide comme l’éclair, d’Entragues est intervenu et il lui a fiché le sien dans le dos.
Avisant l’individu allongé sur le sol, sans s’émouvoir le moins du monde, Cartouche a annoncé :

- S’il est mort, il peut attendre qu’on ait fini de dîner, s’il n’est pas refroidi, comme nous ne sommes pas docteurs, nous ne pouvons rien pour lui, chacun son métier.

3. Philippe lui ayant objecté que la surveillance semblait plus grande dans la principale prison parisienne, Cartouche a répondu :
- J’ai foi en mon étoile. On m’a parlé d’une vierge miraculeuse que l’on peut prier pas loin d’ici. Dès demain, je vais me placer sous sa protection car la mère de Jésus doit savoir que je ne suis pas plus mauvais que ceux qui nous gouvernent. Je suis un voleur, c’est vrai, mais je ne dérobe rien aux pauvres alors que depuis des siècles, ils sont pressurés d’impôts et réduits à la misère, pire à la famine. J’ai tué, oui, cependant j’ai le courage de le faire moi-même quand le pouvoir en place laisse cette sale besogne à la justice. Combien d’hommes innocents se sont retrouvés à ramer sur les galères royales et combien d’autres ont été pendus pour des broutilles ?
Philippe ne répondant rien, Cartouche s’est efforcé de le convaincre :
- Veux-tu en exemple ? Les bougres* ordinaires étaient pendus au siècle dernier quand le premier bougre du royaume, Monsieur, frère du roi et père du Régent, coulait des jours heureux dans son château de Saint-Cloud.
Alors, tu vois, moi, la justice, je n’y crois plus.

* bougre : homosexuel.

4. - On a incarcéré un autre prisonnier avec Cartouche, un mouton, dans l’espoir que le brigand se confierait. Peine perdue…Aidé par ce délinquant, notre homme a trouvé le moyen de quitter sa cellule pas plus tard qu’hier. Ses chaînes ne l’ont pas empêché de franchir le couloir, de descendre un escalier, de traverser un réduit, puis deux autres, de monter un escalier pour se retrouver devant une porte dont il ne restait plus qu’à faire sauter le loquet. Il allait y parvenir quand le bruit a alerté un chien qui s’est mis à aboyer ; avant que les deux lascars aient pu rebrousser chemin, un homme, fruitier de son état, a ouvert la porte et les a menacés de son fusil. Aux cris poussés par les femmes de la maisonnée, les sergents du guet sont apparus et nos fugitifs sont rentrés dans la prison par la grande porte.
Maintenant, Cartouche est attaché à son matelas.
Marie se garde bien de commenter le nouvel exploit de l’Enfant, tout au plus concède-t-elle une laconique appréciation :
- Avouez, Philippe, que c’est rageant pour Cartouche, sans ce chien, il se jouait à nouveau de la police.
- Eh, oui, je peux bien vous le dire, je maudis ce chien quand je sais ce qui attend Cartouche. C’est un assassin et un voleur, oui, mais quel être attachant !
Confronté à ses anciens équipiers incarcérés comme lui, Cartouche a affirmé ne connaître aucun d’entre eux, pas même ses marquises* et encore moins sa pauvre mère venue le voir : il était Lorrain et il s’appelait Jean Bourguignon.
Convaincus de sa culpabilité pleine et entière, les juges l’ont condamné à la peine capitale, il serait roué en place de Grève mais, auparavant, comme tous ceux promis à la mort dans semblables conditions, il serait soumis à la question. Philippe lui avait rendu visite la veille du jour fatidique et il avait été surpris du calme du brigand. Roué, lui ? Non, puisque ses compagnons encore libres viendraient le délivrer. Ne l’avaient-ils pas promis ?
Quant à la question, pas de souci, la température étant relativement clémente, l’eau ne serait pas gelée dans les coquemars, donc il échapperait aux brodequins et pourrait même courir pour s’enfuir sur la place de Grève.
Ah ! Ce serait un grand moment de rigolade !

* Marquises : maîtresses.

Rencontres avec le Roman Des mouches sur Cartouche de Nicole Voilhes
Rencontres

 

Rencontres avec le Roman Des mouches sur Cartouche de Nicole Voilhes